Design Story : 3 bibliothèques de Charlotte Perriand
Charlotte Perriand est une célèbre architecte et designer française qui a marqué les esprits avec ses nombreuses créations s’inscrivant dans le mouvement du modernisme. Militante sociale, elle souhaitait lier l’art à l’homme, elle répétait souvent « L’important ce n’est pas l’objet, c’est l’homme ».
Apportant de la nouveauté et de la fraîcheur dans le paysage artistique français, Charlotte Perriand n’hésitait pas à mélanger différents styles et matériaux ensemble. Ses différents voyages lui ont permis d’avoir une ouverture d’esprit et une créativité hors du commun.
Baignant depuis petite dans l’univers de l’art grâce à ses parents respectivement couturier et tailleur, elle trouve vite sa voie dans les arts décoratifs. Ses capacités et sa créativité lui auront valu de se faire remarquer par Le Corbusier et de faire naître une collaboration.
Ses pièces maîtresses sont sans aucun doute les trois bibliothèques réalisées dans les années 50. Érigée au rang d’icône du design, les bibliothèques Charlotte Perriand sont à première vue toutes dans le même style, mais dégage une aura strictement différente.
Dans cet article, nous reviendrons sur le parcours de Charlotte Perriand, et nous verrons en détail chaque bibliothèque de sa série.
Charlotte Perriand, figure phare du mouvement moderniste
Certainement l’une des premières designers françaises, Charlotte Perriand est née le 24 octobre 1903 à Paris. Grâce à une bourse de scolarité, elle étudie à l’École des arts décoratifs créée par l’Union Centrale des arts décoratifs en 1766. Déjà remarquée par son talent de dessinatrice, elle travaille ensuite en tant qu’architecte-designer. Très rapidement, son envie d’indépendance la pousse à fonder sa propre structure.
En 1929 elle cofonde donc l’Union des Artistes Modernes (U.A.M). Un groupe d’architectes et de designers cherchant à axer l’art vers le social. La vision de Charlotte est étroitement liée avec le contexte historique. Elle évolue dans une période floue marquée par un réel tournant moderniste. La période d’entre deux guerres a été témoin de nombreux mouvements de population dont elle s’inspire pour créer du mobilier valorisant l’organique.
Tout aussi fascinée par l’architecture que par le mobilier d’intérieur, elle a collaboré pendant une dizaine d’années avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, créateur entres autres des chaises chandigarh. C’est à leurs côtés que Charlotte Perriand va développer sa technique et approfondir ses connaissances du design.
L’œuvre qu’elle fait alors découvrir à ces grands noms du modernisme se nôme de manière simple et explicite le « Bar sous le toit ». Cette création a été un véritable tremplin pour sa carrière. Exposée en 1927 au Salon d’Automne, le concept est simple : l’aménagement d’un bar dans une pièce sous les combles. Le mobilier fait de tubes, chrome, tôle, et de cuir est à la fois moderne et fonctionnel. Malgré le côte exigu de la pièce, tous les éléments d’un bar s’y trouvent (lampes, tables, tabourets, et banquettes).
Le Corbusier est charmé par l’ambiance de la pièce et entame, de ce fait, une collaboration avec Charlotte Perriand. C’est dans cette continuité qu’elle concevra la chaise longue LC4, un classique parmi les classiques que l’on ne présente plus.
A cette époque, elle voyage énormément en Union soviétique ainsi qu’en Allemagne, où elle entretient un lien fort avec le Bauhauss. Petit à petit, elle s’éloigne du design de mobilier pour se concentrer sur l’architecture, et finalement intégrer les Ateliers Jean Prouvé en 1939, berceau de la chaise Standard de Jean Prouvé.
Suite à un voyage au Japon au début des années 40, Charlotte prend plaisir à utiliser de nouveaux matériaux tels que le bambou, la paille ou le bois. En 1960, avec Jean Prouvé, elle devient directrice artistique de la nouvelle galerie d’art Steph Simon.
La station des Arcs dans les Alpes a été le terrain de jeu de Charlotte Perriand. Elle a œuvré en tant qu’urbaniste, architecte et designer dans ce vaste projet de construction de la station de ski française. Cette artiste accomplie en tous points a su marquer son époque et faire partie de la grande famille des designers internationalement reconnus.
La bibliothèque « Tunisie » par Charlotte Perriand
Fondée en 1925, la Cité Internationale Universitaire de Paris est un ensemble de résidences pour les universitaires. Elle n’accueille pas moins de 6000 étudiants, chercheurs, artistes ou sportifs du monde entier. C’est avec beaucoup d’idée en tête que Charlotte Perriand participe à l’aménagement de certaines pièces des résidences.
En 1952, elle est commanditée par la Cité internationale Universitaire de Paris afin de concevoir des bibliothèques pour meubler les chambres étudiantes. À cette époque, Charlotte travaille encore aux Ateliers Jean Prouvé.
Pour subvenir à cette demande, elle crée une bibliothèque avant-gardiste appelée « Bibliothèque Tunisie ». Cette appellation n’est pas anodine, il vient du nom de la résidence où elles seront placées, qui n’est d’autres que la Maison de la Tunisie.
Ce ne sont au total que 40 exemplaires qui auront été originellement produits. Par la suite, la production de cette bibliothèque augmentera de quelques exemplaires sous l’édition Steph Simon afin de répondre aux nombreuses requêtes du marché de l’habitation ainsi que de l’éducation
Le meuble en lui-même est un condensé de différentes techniques utilisées dans le passé par Charlotte, ou acquises lors de ses nombreuses expérience. On retrouve par exemple le système à plot provenant d’un meuble coréalisé avec Pierre Jeanneret en 1940, où les plots étaient disposés en quinconces. On pense aussi au système de portes en aluminium coulissantes, déjà développé par Jean Prouvé en 1930 pour du mobilier à Jan Martel.
L’exemple le plus marquant reste tout de même la bibliothèque dessinée par Charlotte à la fin des années 40, sur laquelle les plots sont en aluminium plié. Ce meuble n’avait alors jamais atteint l’étape de la production.
La forme de la bibliothèque Tunisie de Charlotte Perriand est très intéressante car très singulière. Elle joue sur un contraste de hauteur au niveau du plateau central. Les jeux de couleurs ont aussi une place centrale dans le concept de cette oeuvre.
Ce sont 4 artistes qui ont travaillé dessus. Silvano Bozzolini, Sonia Delaunay, Nicolas Schoffer et Charlotte Perriand ont réalisé différents essais sur les alternances de vide et de couleurs. La structure complétée par ce travail des couleurs rend la bibliothèque harmonieuse. C’est une œuvre intemporelle, ainsi qu’une réelle icône du design moderne.
La bibliothèque « Mexique »
Après avoir réalisé la bibliothèque Tunisie pour la résidence portant le même nom, Charlotte Perriand a été une fois de plus commanditée par la Cité Internationale Universitaire de Paris afin de meubler non pas la Maison de la Tunisie, mais cette fois-ci, la Maison du Mexique.
La bibliothèque « Mexique » de Charlotte Perriand était utilisée afin de créer une séparation entre l’espace de vie des chambres des étudiants et les toilettes. Charlotte a pris en compte ce critère et a donc conçu un meuble double-face. Composée de cinq étages de hauteurs différentes, séparés par des tablettes en bois de sapin, la bibliothèque ne manque pas de rangements et de modularité.
Les étages comportent trois ou quatre casiers en aluminium se fermant grâce à une porte coulissante. Le tout est soutenu par deux petits pieds rectangulaires permettant de faire tenir la structure.
On reconnaît bien la même inspiration que pour la bibliothèque « Tunisie », avec l’utilisation de techniques de design similaires. Les tons de couleurs utilisés ne sont pas aussi dynamiques, il se rapprochent plus de tonalités mexicaines légèrement moins saturées. L’alternance entre vide et couleurs apporte ici une structure remarquée. On retrouve aussi sur cette bibliothèque Mexique les casiers en aluminium à porte coulissante qui paraîtrait presque comme la marque de fabrique de Charlotte.
Tout comme sa comparse tunisienne, elle n’a été produite qu’en très peu d’exemplaires, 77 en tout. La fabrication a aussi été conduite par les ateliers Jean Prouvé. Dans un même univers, mais dans une ambiance différente, la bibliothèque Mexique propose une esthétique aérée et légère.
Ses couleurs plus tendres ajoutent à la beauté du meuble, une touche de tranquillité de d’apaisement. On retrouve aussi un sentiment de liberté à travers des casiers en tôle d’aluminium pliée et gaufrée que l’on peut déplacer et replacer à souhait. Plutôt grande, elle mesure 160cm de hauteur pour 183cm de largeur et 30,5cm de profondeur.
La bibliothèque 526 Nuage éditée chez Cassina
C’est lors de son voyage au Japon en 1940 que Charlotte Perriand est conviée à prendre place en tant que Conseiller de l’Art Industriel du Bureau du Commerce. Elle restera à Tokyo durant toute la fin de la Seconde Guerre mondiale. En rentrant à Paris, elle se remémora des détails de son voyage au pays du soleil levant.
Parmi eux, elle se rappela une vision qui l’avait particulièrement marquée : un mur sur lequel des plaques de couleurs étaient accrochées en forme de nuage dans la ville de Kyoto. C’est de ce simple visuel que lui est venue l’idée de construire une bibliothèque dans un style modulaire et coloré.
On retrouve dans la bibliothèque 526 Nuage tout ce qui fait la singularité de Charlotte Perriand : la liberté de composition, des couleurs soignées ainsi qu’un design épuré. Comme pour les deux autres bibliothèques du même style, la Nuage joue avec les volumes afin de créer un effet de désordre ordonné.
Aussi composée de compartiments métalliques bordés par des portes coulissantes, elle a été conçue uniquement à base de matériaux nobles. On retrouve principalement de l’aluminium pour les boîtes et du chêne pour le reste de la structure. L’utilisation de ces matériaux montre bel et bien l’attachement que Charlotte a pu avoir pour l’art industriel japonais. Cette étagère est l’apogée de la série de bibliothèques qu’elle a développé.
Construite sur cinq niveaux, la 526 Nuage propose plus de rangement qu’il n’en faut. Certains compartiments pouvant être fermés, on a donc la possibilité de cacher les objets que l’on ne souhaite pas montrer à notre guise. Pour résumer cette œuvre, on peut dire que Charlotte Perriand a réussi à parfaitement réunir l’utile à l’agréable en proposant une bibliothèque harmonieuse et pratique.
De nos jours, Cassina est le seul éditeur qui détient les droits des œuvres de Charlotte Perriand. Quant à lui, l’héritage des meubles reste tout de même une histoire de famille. Pernette, sa fille, garde un œil rigoureux sur la bonne utilisation des droits. La bibliothèque 526 Nuage n’a été produite qu’en 50 exemplaires, ce qui en fait une pièce de collection très prisée des amateurs d’art.
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